Venise : Suite et fin

Publié le 01/12/2010 à 14:09 par davidemurano Tags : chez anniversaire hiver

 

Le rêve désenchanté ou la fin d'un monde ?


C'est décidé, je passe chez Giuseppe : il es là, il part pour la pêche.

- C'est ma fête à moi, mon anniversaire hebdomadaire, dit-il en riant, je sors me procurer le poisson de la semaine.

On frissonne de froid en naviguant sur le canal ; mais si on glisse sur les basses eaux, lentement, on se retrouve pris par le rythme d'autres appels : cette respiration continue des herbes spongieuses et des algues qui recouvrent les rives, beaucoup plus ample et plus éphémère que la nôtre ; les innombrables présences végétales et animales dans le corps humides des îles que nous traversons maintenant par des chemins plus secrets. Au large, le craquement de la glace, le long de la courbe desghebbi, (minuscules canaux).

Contrôle des filets, lampes allumées, poissons qui sautent, frétillent...

En attendant, il y a les conjonctions dans le ciel : Jupiter avec Mars, la Lune avec la Terre.

- Maintenant nous sommes alignés, assure Giuseppe, nous et les poissons, la Terre avec l'eau et les planètes là-haut.

Dieu seul sait comment cela va marcher,  aime-t-il se répéter !

Et, en effet, il suffit d'un morceau de canal exposé, et voici des bancs de poissons foudroyés par le gel : des dorades, selon mon compagnon, peut-être aussi des bars ; il y a un instant, nous avons attrapé les derniers vivants.

Brusquement les mouettes quittent les poteaux, descendent vers les bas fonds : ce n'est pas bon signe.

Mais ce n'est pas le mauvais temps, ni les bancs de poissons qui les attirent, non, là-bas, à l'horizon, dans la courbe de la terre ferme, s'allument les phares des industries. Le dimanche, la production est réduite. Beaucoup d'usines sont fermées, la lagune reste dans l'obscurité. Mais lundi tout recommencera, et il est proche.

De retour par le canal de Marghera, la lagune est grise. Il n'y a pas un soupçon de glace ; les centrales sont déjà en train de se déverser, dans l'air et dans l'eau, qu'elles soient alignées avec les planètes ou non...

On sent, par bouffées, une odeur de charbon en suspension.

Dans le canal, des filets d'eau tiède en plein hiver. Rien ne donne plus l'impression d'un piège pour cette eau sale qui provient des déchets.

Pourtant, dis-je, (pour relativiser et me consoler), peut-être est-ce un avantage pour les dorades et les bars qui, ainsi, ne mourront pas sous l'effet du gel !

Si ce n'est que, dans peu de temps, me répond Giuseppe, au début de mars, dans toute cette zone, les algues vont reprendre en masse : il y en a déjà quelques signes, entre les poussières et l'écume blanchâtre.

- D'abord les algues naines, puis les algues géantes, puis des monstres. Entre le printemps et l'été, elles exterminent les poissons, attaquent les plantes, rongent les marbres et les poumons.

Les mêmes mots que l'an dernier.

Au même moment.

Je m'en souviens.

Si ce n'est qu'il faisait plus froid, la lagune commençait à geler.

Nous avons répété ces mots pendants une année.

Personne parmi ceux qui comptent ne nous a répondu.

La ville amphibie est à l'horizon, qui attend ; les semaines, les mois, les années passent, mais, à Venise, on ne peut plus rêver, même en plein hiver, du printemps.

Nous débarquons sur le môle, attentifs à ne pas glisser dans cette eau blanchâtre, à moitié gelés nous aussi, tout comme les mouettes hébétées, sauf que contrairement à elles, nous sommes dans un rêve... désenchantés.