aile alpago ame amitié amour angoissant auteur béguin camus chute citations comique
Rubriques
>> Toutes les rubriques <<
· Couverture livre (0)
bonjour,
pour des raisons techniques liées au blog de davide murano (et ce depuis mi-août) les messages postés
Par Note des éditions , le 27.10.2010
· Venise : Suite et fin
· Davide Murano
· La procession des athées vénitiens.
· La communauté de la Béthanie
· Texte sur Venise
· Le Lido des Sénégalais.
· Rialto.
· L'île des morts.
· Venise, une heure du matin.
· La Gubana
· Les lacs blanchâtres
· Combinatoire hasard.
· La Scuola dei Morti (l'école des morts).
· Les couleurs d'une journée
· Venise autrement...
Date de création : 11.06.2010
Dernière mise à jour :
22.09.2011
38 articles
Ils sont combles, ces jours-ci, les bateaux pour San Michele, l'île des morts. C'est le cimetière de Venise, gonflés d'arbres et de tombes jusque sur les eaux. Une île lumineuse et obscure, entre les mouvements continus de la marée et les coups de vent balayés, hantée par des barques funèbres argentées qui foncent avec anges et trompettes à l'abordage d'un appontement disponible. Mais aujourd'hui, il y a trop de gens, nous changeons de direction. Nous allons rendre visite aux plus antiques lieux des défunts ; aux cimetières abandonnés, encore dissimulés dans la cité. Notre recherche commence un peu au hasard, en tâtonnant. Nous savons qu'il y a, çà et là, des espaces solitaires à côté des églises. Des renflements subits ou des affaissements sur de petites places qui cachent souvent d'anciens cimetières. De certains, on se souvient, d'autres non. Parfois ils surgissent brusquement, avec une terrible évidence, à un pas des carrefours les plus fréquentés, tant la présence des morts a pénétré pendant des siècles la grande et dense ville des vivants. Dans ce dédale, la recherche est plus difficile que prévue. L'amalgame vie-mort résiste. Il faut dépasser le double silence des pierres encore vivantes et des souvenirs qui s'enfoncent toujours davantage dans le temps. Les lieux existent, mais ils nous échappent. Les guides et les cartes ne nous aident en rien. La seule référence précise est très lointaine : une île sur la lagune nord, " Sant'Ariano " qui tirait son nom de ces endroits fantomatiques. Le vert de l'île rassemblait tous les fils des labyrinthes que nous recherchons : quand les cimetières de la ville débordaient sous l'effet de la succession des générations et des tourbillons de peste. Que n'a-t-on vidé et déchargé dans cette île au long des siècles... Les restes de nos ancêtres se retrouvent sur l'eau en strate régulières. On les découvre sur un bon bout de lagune, mais il semble impossible que si peu de traces soient restées en tant d'histoires, de drames, de folies. De temps en temps, même en pleine ville, resurgissent des restes humains oubliés depuis lors. Peut-être ici aussi, en ce moment, quand on traverse ces belles places , marche-t-on sur des lieux de morts, échappés à " Sant'Ariano ".
Mais voici un endroit sans équivoque : " le pont des morts ". Il touche l'église la plus ancienne de Venise. Il est entre le campanile des temps barbares et un vieil oratoire raffiné. Le lieu est désert, extraordinairement paisible et légèrement sinistre avec ces orbites creusés que présente le port désarmé. Des bandes de verdure de chaque côté du canal. Un portique-crypte émouvant, avec la réunion des restes de tombes, de sculptures rongées. Deux jeunes s'embrassent passionnément contre les montants du campanile, avec ce désir ardent de poursuivre la vie, même si l'inscription terrible du cadran solaire, là-haut, " Fugit hora, memento mori " ( le temps passe, souviens toi que tu dois mourir ) ne laisse aucune issue à leur amour. Peut-être est-ce, dans l'absolu, le plus beau lieu des morts de Venise, fréquenté par quelques vivants, et en même temps le plus incertain, car on se demande constamment si l'on se trouve d'un côté du canal, ou de l'autre... On ne sait jamais si on va le franchir seul, ou accompagné. " Le pont des morts ", est donc devenu, pour qui l'empreinte, ignorant, un pur moyen anonyme de franchir l'eau du temps qui passe.
L'église a été restaurée depuis peu, les noms alentour ont disparu. Qu'est-ce qu'une inscription sur un mur, quand en fait le lieu parle tout seul. Et pourtant, les noms donnent une réalité aux choses. L'écriture perpétue la mémoire, la maintient vivante. Et ce sont les rares souvenirs de nos morts les plus lointains, auxquels nous sommes tous apparentés, qui nous rattachent à eux. Là où les noms de leurs lieux ont aussi disparu, là ou l'écho de leurs voix ne résonnent plus, les morts et leurs sentiments sont morts deux fois, et à jamais...