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bonjour,
pour des raisons techniques liées au blog de davide murano (et ce depuis mi-août) les messages postés
Par Note des éditions , le 27.10.2010
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· Le Lido des Sénégalais.
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· La Scuola dei Morti (l'école des morts).
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· Venise autrement...
Date de création : 11.06.2010
Dernière mise à jour :
22.09.2011
38 articles
Lagune nord. Il y a longtemps, ou était-ce hier encore ?
A sept heures du soir, il fait si froid qu'il n'y a plus personne dehors.
Nous sommes, nous aussi, pris dans la morsure - l'année du gel, nous nous en souviendrons -, avec nos murs délabrés, humides, remplis de lézardes.
Le sentiment d'une précarité sans issue croît avec le froid du corps, dans les salles mal chauffées, suspendues sur les eaux muettes...
Le gel brise sans rémission les tuiles les plus antiques, la neige s'infiltre, l'eau pénètre dans les soupentes : elle s'égoutte, funèbre, dans la maison, mange les derniers stucs, ce faux marbre pour pauvres riches.
Le vent s'acharne contre les baies séculaires, les plus faibles, les plus lasses. Il attaque les délicates ouvertures géminées ou trilobées, les enfilades d'arcades et de vitraux. Murs légers et grandes fenêtres, sur un terrain provisoire de lagune boueuse : tout tend à voler... ou à s'émietter.
Lagune nord : Des canards roux planent devant nous, toujours plus rapides et désordonnés, comme ahuris, sur la glace entre les îles. Des mouettes enragées volent haut, en bandes, sans réussir à pêcher un seul poisson.
A Torcello, les foulques se réunissent en petites tribus perplexes, devant l'église-forteresse pour y trouver un semblant de chaleur...
Pas un être humain : rien que des saints et des damnés, là-haut, entre les fenêtres de pierre, dans la mosaïque du Grand Jugement universel.
Les murailles de l'église, vues du canal intérieur, immobiles, représentent la seule création humaine. Elles s'identifient à une montagne de pierres et de briques, dans un désert de neige, apparaissant comme unique dans ce monde-ci, dans le bref temps qui nous est assigné.
Entre église et canal, les plus malheureux de tous les oiseaux, les échassiers aux pattes trop longues : nous les trouvons justement sur la rive du canal principal où, d'habitude, ils se gardent bien de s'arrêter...
Le courant est fort ici, certaines parties ne sont pas encore gelées : ils déambulent le long de la berge, entre les roseaux. Et seulement alors, nous réussissons à comprendre : beaucoup sont déjà renversés, là, au milieu. Parmi eux, des germains royaux, gelés, avec leur cou bleu pendant. Nous savions déjà que les petits hérons blancs, appelés ici garzette ou aigrettes, sont tous en train de mourir de faim. Nous sommes impressionnés de n'en voir aucun. Nous voulons croire qu'ils nous échappent parce qu'ils sont blancs comme l'hiver et qu'ils se fondent à la neige ; mais probablement, à cette heure, s'accomplit leur totale disparition.
En voici un !
Nous le voyons un moment contre un mur en ruine - d'ordinaire, ils sont en groupe, ils ne savent vivre qu'ensemble -. Il disparaît : il a aussi peur de l'homme que du gel. Pourtant cette fois, dis-je, nous t'avons apporté à manger.
Cette fois ; mais on entend encore quelques coups de fusil...
Malgré l'interdiction de chasser, il y a quelques misérables pour tirer. Hier soir, un peu avant la nuit, ça tirait dans tous les sens.
Jusque tard.
Ça n'arrêtait plus...
... et finalement qu'avaient-ils à tuer sinon leur propre mort ?