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bonjour,
pour des raisons techniques liées au blog de davide murano (et ce depuis mi-août) les messages postés
Par Note des éditions , le 27.10.2010
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· La Scuola dei Morti (l'école des morts).
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· Venise autrement...
Date de création : 11.06.2010
Dernière mise à jour :
22.09.2011
38 articles
Le Carnaval.
Pourquoi, s'exclame-t-il, pourquoi un carnaval ici, où toutes les libertés existent déjà et où il n'y a aucune interdiction ?
- Parce que, tentais-je, nous sommes tous dans l'aquarium, dans l'eau jusqu'au cou.
Et en même temps, avec mon troisième œil, celui de mon masque, je cherche la fuite.
Lui devient nerveux :
- Ecoute, ami, moi, je suis Kundera, tu sais qui c'est ?
- Oui, je sais, mais où veux tu en venir ?
- Je dis que le Carnaval, ils devraient le faire ailleurs ; en Corée du Nord, en Pays religieux, ailleurs, là où il y a peu de libertés.
- Pourtant, ici aussi, il me semble qu'il n'y en aura jamais assez.
Et alors je me dis que cet homme doit vraiment être Kundera. Mais Venise et son Carnaval ne lui conviennent pas.
- Ici, il n'y a rien, ni chars, ni défilés ; quel carnaval est-ce-donc ?
- Nous y sommes pourtant, répliquais-je. Nous y sommes même masqués par le hasard de notre rencontre.
J'essaie un ton soutenu : Nous sommes le Carnaval. Sur les places, les ruelles, les ponts. Le Carnaval avec l'aide de la vie et de la mort, nous sommes et nous faisons partie d'un tout.
- C'est-à-dire rien, m'interrompt-il.
Il regarde autour de lui : " Rien... Que des rives envahies par des masques... ".
Je souris. Ce doit être vraiment un écrivain, mais pas Kundera : il manque d'imagination. Il a besoin de chars, de défilés organisés, de l'office du tourisme, de grondements brutaux, de ricanements, de foules menaçantes, de Venise en ébullition : il a besoin de se noyer d'observations...
Un portail entrouvert me sauve ; le vestibule d'un palais.
Lui monte l'escalier, adieu. Moi, je traverse le jardin et je me retrouve sur une place jamais vue. La place des nouvelles illusions ; maquillée par Dieu sait quels anges. Esplanade irréelle. Les costumes des doges se multiplient à l'horizon. Une fois la pluie finie, ils brillent comme des mosaïques.
Des masques d'or s'agitent, des ex-belles fanées bondissent sur leurs pieds.
De faux beaux vieillards se dépensent dans les cafés en jouant aux riches.
Des bandes de jeunes font l'assaut du parvis, ils projettent une invasion.
Je cours voir : sur les talus, vers les jardins, une horde refoulée par la marée arrive en lambeaux, furieuse.
J'attends ; aucun signe d'assaut. Non, rien qu'un petit théâtre improvisé, une troupe déguisée, là, sur ce pont moisi. Le spectacle commence :
Un bouffon ridé, un vieux, un vrai ou faux ? (on dirait qu'il est vrai), debout sur une sorte de grand tonneau, en manque de lumière, échange un dialogue amoureux avec une jeune femme belle comme un rêve, allongée sur le parapet.
A chaque réplique, il s'enfonce dans son tonneau, s'éteint puis disparaît définitivement dans l'obscurité, tandis qu'elle se déshabille toujours plus : inutilement, car désormais le petit vieux est totalement ensevelit.
Les masques d'or ne sont pas contents, ni les ex-belles avec leurs doges haletants, ni les vieux faux beaux riches ; le spectacle semble terminé.
Mais un personnage lunaire, tout là-haut, sur des échasses, rapplique :
- Pour "Carnaval", on va vous donner du bonheur. On va vous jouer une vieille comédie. Aucune allusion à des lieux ou des personnes ayant existé...
Silence.
Le bouffon-vieillard réapparaît tout doucement en sortant de son tonneau.
La jeune belle femme s'accroche à un fil invisible. Elle grimpe, au milieu des applaudissements, rejoindre le bouffon-vieillard, comme si elle s'évaporait dans l'univers vers l'insoutenable légèreté des premières étoiles de la nuit.
Le ciel paraît lui répondre, il reluit dans la nuit d'hiver.
Reflet sur les places, sur les ponts, sur les canaux, dans les eaux.
Dommage qu'il n'y ait plus notre Kundera : " Ce n'est rien, disait-il, à Venise, le carnaval n'est rien.
Cependant qu'une allégresse émue s'élève du pont branlant, confondant les masques, les vieux-beaux, les ex-belles, les bouffons, les jeunes, les amants, les lieux et les âges, les vivants...